mardi 14 avril 2009

Cloud et Tifa font des kanji...

Figure-toi que cette semaine est sorti Final Fantasy VII sur PS3. C'est-à-dire la version PS1, ouais ouais, le vieux jeu tout moche, pas le remake magnifique qu'ils sortiront dans 2 ans (toi-même tu sais).

Bon. Je me suis évidemment jeté dessus, et c'est donc la première fois que je fais le jeu en japonais (première fois en français, prêté par un pote, et puis mon exemplaire à moi, version US de l'époque où je faisais pas encore du japonais, et qui vaut maintenant une petite fortune...).

Premier constat : bordel de merde, mais c'est BLINDÉ de hiragana, on se croirait encore sur SNES !
Deuxième constat : Tiens, c'est marrant, les limites de Yuffie sont presque toutes des yojijukugo.

Nous allons donc profiter de la sortie de FF7 pour apprendre quelques yojijukugo (四字熟語).

1) construction.

Comme leur nom l'indique, les 四字熟語 sont des composés (熟語) de 4 caractères (四字).
Comme leur nom ne l'indique pas, il s'agit de composés souvent d'origine chinoise, donc on a droit à des formules qui sont des additions de 1+1+2 (genre 呉越同舟) ou 2+2 (genre 八方美人), ou encore le préféré de Sinclair : 1+1+1+1 (genre 喜怒哀楽), ou même encore plein de combinaisons.

Bref, ne crois pas que tu vas pouvoir les analyser comme tu le fais avec des composés purement japonais, d'autant que certains sont liés à une histoire dont ils sont généralement le résumé, donc autant dire que derrière chaque caractère se cache une explication d'une demi-page...

2) emploi.

Alors ou tu es Chinois et tu discutes avec des Chinois, auquel cas te prive pas, mets-en plein la conversation (parce qu'en chinois c'est normal), ou tu es pas Chinois et tu discutes avec des Japonais, et tu seras bien gentil de faire preuve de parcimonie, faute de quoi tu passeras pour un gros prétentieux qui veut se la péter.

Je n'ai rien contre le fait de se la péter, bien au contraire, mais il faut se la péter avec classe. Donc sortir l'expression qu'il faut au moment où il faut.

Bon.

Passons à l'analyse des limites de la p'tite mère Yuffie :

Limites de niveau 1

疾風迅雷 (しっぷうじんらい) : 疾風, je fais pas l'insulte de l'expliquer au Narutard que tu es (ne nie pas), sache juste qu'on le prononce aussi はやて, et que comme d'hab', la lecture kun d'un composé c'est toujours la classe.
迅雷, on va le décomposer :
- 迅, c'est aussi l'adjectif はやい (donc 迅い), comme les deux que tu connais déjà (早い, 速い).
- 雷, c'est la Foudre, au sens zeusséen (au Japon ?!) du terme. Techniquement, l'éclair c'est 稲妻 (いなずま), et 雷 (prononcé かみなり), c'est le tonnerre. MAIS si tu le prononces いかずち, ça devient la Foudre, genre les Dieux sont pas contents, tout ça.
Donc le sens du composé 迅雷 serait "rapide comme la foudre". Associé au vent violent, tu peux y voir une simple addition, mais on utilise plutôt le terme pour désigner quelque chose de violent qui arrive très rapidement (un peu l'équivalent de l'anglais "thunderstruck"). Genre une grosse série de coups de pieds dans la gueule.

明鏡止水 (めいきょうしすい) : 明鏡, aussi prononcé めいけい, c'est le miroir que rien ne trouble, ni les défauts de fabrication (je te rappelle qu'à l'époque où sont nées ces expressions, les miroirs étaient fabriqués artisanalement, alors le zéro défaut, c'était le nec plus ultra), ni les traces de doigts de ton copain qui vient de passer la main dans ses cheveux ou sur son nez. Le miroir ni-ckel.
止水, c'est l'eau que rien ne perturbe, pas le moindre souffle de vent, pas la moindre ride à la surface, rien.

Eh ben ton cœur il doit être comme ça, 明鏡止水. Pas en train de courir pour les soldes, pas penser à 2000 trucs que tu dois faire dans la journée, pas tripoter ton portable dans le métro parce que t'es incapable de rester 30 secondes sans t'occuper l'esprit.

明鏡止水, c'est la sérénité.

Limites de niveau 2

抜山蓋世 (ばつざんがいせい) : se dit de celui dont la force est capable d'arracher les montagnes (山を抜く) et dont la volonté pourrait recouvrir le monde (世界を蓋う). Ce 四字熟語 est tiré d'un poème chinois composé lors de la bataille de Gaixia (je te laisse draguer le net pour parfaire ta culture générale).

Limites de niveau 3

鎧袖一触 (がいしゅういっしょく) : se dit lorsqu'on se débarrasse facilement d'un adversaire.
鎧袖, c'est "une manche d'armure" et 一触 "un simple contact", l'idée est donc qu'un simple revers de manche suffit à se débarrasser d'un adversaire, soit pour insister sur la puissance d'une personne, soit pour insister sur la faiblesse de l'adversaire.

生者必滅 (しょうじゃひつめつ) : précepte bouddhique qui signifie que "tous les êtres vivants" (生者) finissent inéluctablement (必) par disparaître (滅).
En règle générale, 生 se prononce しょう (et pas せい) en lecture bouddhique, donc dès que tu vois un truc qui sent un peu le bouddhisme, tu sais comment le lire.

Limite de niveau 4

森羅万象 (しんらばんしょう) : très probablement choisi pour le jeu de mot sur しんら (écrit 神羅 dans le jeu lorsqu'il s'agit de la compagnie des "méchants"), ce composé signifie "toutes les choses" (万象) qui sont dans l'univers (森羅).

Bonus

Il y a une limite de Cloud qui est également un 四字熟語, il s'agit de 画龍点睛, qui se prononce がりょうてんせい, donc tu feras gaffe.
L'expression veut dire "ajouter les yeux au dragon", parce que lorsqu'on dessine un dragon en Asie, on dessine les yeux en dernier, il s'agit donc de la touche finale et c'est lorsqu'on ajoute la touche finale à quelque chose qu'on emploie cette expression.

Sur ce, je me barre au Japon, on se revoit début mai ! (et non, je serai pas dispo cette fois-ci, j'y vais pas en vacances).

mercredi 8 avril 2009

Robert Patrick répond aux questions que tu ne te poses pas (again).

Je me propose aujourd'hui de t'expliquer la différence entre "viser" (目指す) et "viser" (狙う).

目指す, c'est avoir un objectif, un but, un idéal. Je ne rentrerai pas dans une dichotomie "concret/abstrait", vu qu'un but peut très bien être concret, donc c'est pas la question. Mais disons que 目指す s'utilise avec des concepts : 目指す, c'est pour quelque chose à "atteindre", tandis que 狙う c'est pour quelque chose à "obtenir". Dans les deux cas, particule を.

Je te donne des exemples :

1) tu parles d'une éducation qui ferait que tous les enfants sortent de l'école en sachant lire, écrire et compter : 目指す. On est dans le concept. L'éducation, c'est pas un truc que tu peux rapporter chez toi et poser sur la cheminée.
2) tu parles de la victoire de ton équipe dans le prochain match : 狙う. T'auras ta médaille ou ta coupe à la main.
3) tu parles d'une procédure pour obtenir zéro accidents de voitures, ou zéro chômeurs, ou 100% de guérison dans tes hôpitaux : 目指す. Ce que tu vises, c'est un état (状態/状況), quelque chose de concret mais que tu peux pas prendre dans ta main pour le maintenir.
4) tu veux te taper la plus jolie fille de la classe, la seule qui a une dentition correcte : 狙う. Elle sera tienne, oh oui...

Pour faire plus "concret", disons que 目指す s'emploie quand on prend une photo et que t'es pas dessus (ceci est une métaphore, hein), alors qu'avec 狙う, t'es sur la photo.

samedi 4 avril 2009

Robert Patrick t'en met plein la gueule.

Bon, gars, je sais que t'es là pour apprendre la langue japonaise, mais là il est 1h42 du matin, alors je vais te faire part de mes réflexions sur les japonisants, de sorte que tu ne deviennes pas un des ces abrutis qui "adorent la culture japonaise".

Le japonais, c'est comme le reste : il y a la technique, et puis il y a ce qu'on en fait. Quel est l'intérêt d'être le meilleur coup du monde si on se tape que des moches ?

Donc la plupart des japonisants, ils sont à fond dans la langue japonaise, les kanji, le 1-kyû, et toutes ces choses qui n'ont rapport qu'avec la technique. Ils en oublient la réalité du Japon.
Mais ils crient quand même sur tous les toits qu'ils "adorent la culture japonaise".

Ça, c'est un truc que j'adore chez les japonisants, et plus ils sont balaises en japonais, plus tu peux les prendre en défaut.

Genre le mec qui a lu tout Sôseki mais qui ne sait pas qui est Doraemon, tu vois.

Parce que, à la base, la CULTURE, tu vois, c'est quelque chose qui se retrouve de façon assez homogène dans un peuple. T'auras remarqué qu'on parle pas de culture quand ça concerne une info que seulement 3 pékins se partagent.

Et laisse-moi te dire qu'il n'y a PAS UN SEUL Japonais qui ne connaît pas Doraemon, alors que, bien évidemment, ils ne sont qu'une minorité à s'être tapés du Sôseki pour de vrai.

Donc toi t'arrives au Japon, la tête pleine de kanji que t'es le seul à savoir lire, ton diplôme de japonais sous le bras, et comme une grosse tête de con, t'es persuadé que tu connais la culture japonaise parce que t'as lu plein d'auteurs japonais.

Mais tu connais pas le générique de Chibi Maruko-Chan. Ni Ultraman, ni Kamen Rider. Et tu connais rien à Gundam.
Alors que Gundam, si tu veux, c'est juste la religion officielle du Japon depuis 30 ans.
Donc ouais, t'es incollable sur le shintô et le bouddhisme, mais t'es pas à jour. Un peu comme si tu pensais que la capitale du Japon, c'est Edo, tu vois.

Donc quand tu vas en plus dire aux Japonais que t'adores leur culture, tu feras pas l'étonné s'ils te regardent avec des grands yeux, parce qu'ils seront en train de se demander de quelle culture tu veux parler.

Je vais te donner un exemple : récemment je joue à ce jeu extraordinaire qu'est Ôkami. En japonais, évidemment. Et ce jeu est blindé de références à la culture japonaise. Dans chaque nom de personnage, dans chaque scène, ça suinte la culture japonaise par tous les trous.

Et si tu connais pas la VRAIE culture japonaise, ben tu passes à côté de toute la subtilité du truc.

Par exemple, toi qui ADORES la culture japonaise, est-ce que tu pourrais me raconter les histoires de Kaguya Hime, Momotarô, Kintarô, Urashima Tarô ? Avec les noms de lieux, et les noms de persos ?
Ben les Japonais ils peuvent. Est-ce que tu imagines un Français qui connaîtrait pas les histoires du Petit Chaperon Rouge, du Petit Poucet, de Hansel et Gretel ou du Chat Botté ?
Ça fait partie de notre culture populaire, de notre folklore.

Eh ben pareil pour les Japonais, ils ont aussi des contes que tout le monde connaît, et si toi tu débarques sans les connaître ben tu vas juste passer pour une buse (comme le mec qui a rédigé la FAQ de Ôkami, par exemple, et qui trouve que la dernière scène impliquant Kaguya Hime est "utterly strange and borderline surreal", alors qu'en fait c'est complètement raccord avec le conte).

Donc moi, ça me fait toujours marrer ce dédain affiché de certains pour la culture populaire ou "sous-culture" ; les mecs ils ont la gueule dans leurs bouquins et ils sont complètement à côté de la plaque.

Parce que qui dit "référence culturelle", dit "tout le monde est au courant". Donc les contes dont je t'ai parlé plus haut sont bien évidemment utilisés dans la communication et la publicité au Japon.
Du Momotarô, t'en manges à chaque coin de rue.

La culture, la vraie, c'est important. C'est la base d'expressions populaires, de proverbes, etc.

Think about it.
 
Creative Commons License
Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons.